ATTENTE/ERRANCE
De l'errant
Chapitre 1
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS




Sujet








C’est en le mangeant qu’on fait l’épreuve du pudding.
Proverbe
























































































Parenthèse












































































ATTENTE/ERRANCE
De l'errant
Chapitre 2
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS



















































































ATTENTE/ERRANCE
De l'errant
Chapitre 3
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS












































ATTENTE/ERRANCE
De l'errant
Chapitre 4
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS
DE L'ERRANT, chapitre 1

L’errant est un homme.
L’errant est une silhouette, une ombre portée de profil. L’errant est une personne, mais impossible de s’en faire une image précise. C’est vous, c’est moi, car tout le monde est errant un moment ou un autre. Si ce n’est fait, ça viendra. Peut être il y a-t-il errant et errant, des errants professionnels en quelque sorte, mais dans l’ensemble tout le monde va errer au moins, au moins une fois dans sa vie, pour savoir ce qu’il voulait faire, à la recherche de son stylo ou de sa brosse à dents qu’on ne prête pourtant pas. (Certains disent même que si on n’a pas été errant à quarante ans, on a raté sa vie).
L’errant est un Homme.

Homme, l’errant est donc souvent en groupe. Plus exactement il est à mi-chemin d’autres errants. Il observe les autres qui sont vraiment autres parce que groupés et l’autre qui n’est pas vraiment autre car errant comme lui. Il observe, il hésite, réfléchit en regardant ses pieds. On sent la longue réflexion, le dilemme qui vous ronge jusqu’aux orteils. Parfois la décision est mûrement réfléchie et c’est avec calme, une paix bouddhique, qu’il se dirige vers l’autre que celui-ci soit vraiment autre ou un autre pareil. Parfois, alors que tout s’embrouille dans sa pensée, que le nœud gordien se tisse au lieu de se défaire, c’est dans un alea jacta est qu’il fait le premier pas. Peu importe la manière, l’essentiel dans le soi de l’errant est de faire ce pas. Il arrive que l’hésitation se prolonge, prenne racine, se fixe en quelque sorte dans le sol et l’errant devient alors une sorte de pivot, de point de repère pour les autres errants. Et c‘est important d’être et avoir un point de repère.

Homme, l’errant est souvent seul avec lui-même. Ce n’est pas une tâche facile d’être entre soi et soi, c’est même harassant. Il faut faire les questions et les réponses, concevoir et réaliser, être au four et au moulin, sans arrêt. Il n’y a que le soir ou cela cesse, mais alors la conscience prend le relai. Les jours de pluie sont de vrais dimanches…
Alors, quand l’errant est bien fourbu d’être entre soi et soi, il s’appuie contre son ombre pour se reposer et si elle vient à s’éloigner de lui, il s’assoie pour reprendre des forces et recommencer le chemin avec soi.

Il arrive parfois que l’Homme soit seul avec un objet, une chaise ou une échelle. Alors l’homme est comme avec un vrai autre, un autre différent. Il se demande par quel bout prendre l’échelle et dans quel sens il va grimper, jusqu’où ? Et la chaise, est-il convenable de s’asseoir dessus quand on sait qu’elle a des barreaux ? Ne vaudrait-il pas mieux la fumer ?

L’errant est un Homme.



Où est-elle ?
Brusquement il est bohémien dans sa salle de bain ou chez les chalaisiens.
Il perd ses pas, son monde, interroge des lieux improbables, mais l’intime se dérobe.
Il s’interroge, se remémore, pratique l’art divinatoire dans les lignes des objets ou des monticules.
Où est-elle ?
Les yeux errent.
Les angles et les courbes se décomposent, se recomposent, s’effacent et se reconstruisent, pour aussitôt se défaire.
L’intime est instable, bien fol qui s’y fie.
La peinture doucement change de couleur, des dégoulinures apparaissent, des bavures nouvelles envahissent la teinte.
Où est-elle, nom de dieu !



Il est toujours en train de préparer un sac pour partir en voyage, en rêve.
Que mettre dans ce sac ?
Quel que soit le voyage lointain ou immobile, que mettre dans ce sac ?
Ça dépend de sa destination, tropicale, nocturne, lointaine ou proche… il y a tellement de dépendances.
Comment sacquer ce sacos ?
Il faut y mettre l’indispensable !
Il est seul.
Il tourne autour du sac.
L’indispensable ?
C’est quoi l’indispensable? Sa salle de bain, son lit, du raisin, son couteau suisse, une poignée d’olives pour jeter au soleil, le souvenir de soi, ce pull bariolé qui vous mettra en position de repère ou celui caca d’oies qui vous signalera aux grenouilles de bénitier ?
La besace n’est pas un sachet mais c’est un monde fini qui doit servir tous les jours et sur lequel on pourra se reposer.
Quelle horreur que le choix !
Il est seul.
Il tourne autour du sac.
Alors il se dit que lorsque la peau du lion ne peut pas suffire, il faut coudre la peau du renard.
Il a plus d’un tour autour de son sac pour le remplir comme un hémisphère où les poches dessinent les continents.
De quoi peut-il se passer ?
De quoi faut-il se passer pour faire avec ce que l’on n’a pas ?

Le sac fait il sera une araignée qui dévidera son fil pour capturer les sentiments de son environnement. Il pourra rouvrir les portes de l’enfance.



Où est-il ?
Ce masaguin, ce campanile, ce fournil, ce parcours du futile, ce havre dans la quête ?
L’autre c’est ce passant égaré qui n’utilise pas son GPS et demande sa route à une femme qui fume sa cigarette sur le pas de sa porte.
Où est-il ?
Question lancinante de l’errance.
Où est-il ? Nom de dieu !



Il faut noter qu’il y a l’errant des champs et l’errant des villes.


Dans la ville aux portes closes il faut entrer par la fenêtre à demi ouverte qui éclaire des appartements vides. Tout s’est arrêté, tout attend, seule la lumière est vivante.

Les voitures sont définitivement garées.
Le passant ne passe plus, il est figé dans sa position, parfois un pied en l’air, courbé sur une table dont il ignore la matière, le chiffon à la main, le balai qui ramasse les feuilles jaunes est statufié.

L’errant se retrouve dans cette attente.
Tout est vide, même pas une araignée, tout est nettoyé par la lumière.
Tout est vide et il a soif de mots. Il ne peut converser qu’avec les publicités et les enseignes. Ce sont ces mots froissés, entrechoqués, sortis d’un vieux crapaud qui dominent la ville. Parfois ils clignotent en rouge et vert, mais ils sont glacés, figés dans le calcul.

Comment parler avec le silence ?


Le pire est dans les villes qui n’existent pas, certaines banlieues. Celles qui n’ont pas connu le désir de l’architecte. Celles à qui on a scotché de la pelouse, des lions à l’entrée, des rubans de bitumes et quelques supermarchés.
Celles où les voitures roulent sans fin dans le circuit.
Ici, il n’y a personne, pas de rencontre possible. Ce sont des déserts peuplés où l’on ne peut pas être.
Ici on ne peut même pas offrir des pe’les de pluie.
Ici on se demande même si on est ici.


Il sait que même si les poubelles sont pleines, même si les toits sont partout, qu’il aura faim et qu’il couchera sous une laide étoile trop lointaine, qu’il sera invisible.



L’errant des champs c’est différent, il a un vrai combat avec le paysage.
Il faut qu’il y entre totalement.
Il faut parfois qu’il se fasse petit comme une souris, parfois grand comme un éléphant.
Il faut qu’il y perde ses idées reçues pour être accepté, ses idées noires pour ne pas être pendu à une branche, rarement, mais quelque fois être dépossédé d’un bras ou une jambe en avançant le pas.

Il rentre dedans le dehors vert percé qui laisse le vent passer et parfois lui fait mal à ses deux dents cariées. Ici point de docteur, il faut faire avec ce qu’on n’a pas, la bouteille de gnole ou le fer à repasser.

C’est la montagne bleue, vague au reflux, qu’il faut atteindre.
Elle est loin et à portée de main.
Il faut traverser le lac rose,
Traverser le ciel rouge cœur,
Traverser le blanc de la neige qui étouffe le chant,
Traverser le blanc de la canicule qui écrase le relief,
Traverser l’usine transparente,
Traverser les ruines noires, voyage dans le passé qui lui font se demander si tout cela, le ciel la terre, son voyage, la limite,…ce n’est pas que du passé,
Traverser des colonnes de touristes gris,
Traverser sur le pont suspendu le ravin ocre,
Traverser la forêt noire sous tension qui n’a plus aucun animal sinon un ver de terre qui se languit sous la lune,
Traverser encore d’autres couleurs qui comme dans un délire se répètent jusqu'à plus soif.

Et il traverse les paysages ouverts les uns sur les autres, sans limites, sans jamais avoir le sentiment d’être cerné, au contraire, il fait l’expérience de l’infini sans un mot..
Parce que sans limites, son pas pourra voler s’il choisit la bonne musique sur son MP3 et que son bâton de marche marque le tempo.

De temps en temps il prend des photos, il sait que ce n’est pas bien cet écran entre lui et le paysage, qu’il met un cadre à l’infini, que ce ne sont pas des preuves, tout juste des marques pour quand il sera dépassé, qu’il ne peut pas ainsi entrer dans le tableau, que chaque visée réduit ses chances, mais il ne peut s’empêcher de faire des traces.


DE L'ERRANT, chapitre 2
L’errant est un voyageur absolu, participe au présent totalement.
Il voyage sans but précis apparent, ça et là.
Il visite ça, arpente là, il est errant ça et errant là. C’est le jour et la nuit, la pluie et le soleil, le feu et le vent, l’herbe qui pousse et les enfants qui meurent.

De ça il parcourt la solitude sinueuse aux cataractes vertigineuses, parfois les yeux bandés. Il voudrait en avoir gouvernance.
Par là, il assure l’ascension de la parole vive, débridée, impétueuse, qui asservit le geste dans un commandement bref.

Après tant, et tant de monts moutonneux et de vaux évasés, l’errant ne sait plus tellement où il en est. Ça regarde là dans le miroir et ne se reconnait plus.
Une fois, sur un pont, son ombre s’est cabrée et a refusé de rejoindre l’autre rive. Aucun ordre, aucune parole conciliante n’y a fait. Il a dû poursuivre seul.
Il ne sait plus s’il est en quête ou condamné à cette errance. Extérieur-jour, intérieur-nuit, il ne sait plus et se perd. Il tourne en rond dans une forêt trop grande pour lui, comme le pénitent dans le labyrinthe de la cathédrale de Chartres. Pas un elfe, pas un seul lutin en vue. Est-il bien ça ou est-il là ? Ses nuits sont-elles plus belles que vos jours non fériés ?

L’errant craint l’errata. Il a peur de se tromper de route, de se fondre dans le paysage si vaste et d’y disparaitre comme le peintre Wang Fô.



Il pense que les gestes répétés, les va et vient coutumiers, les paroles répétées et reportées écrasent.
Il se retrouve dans des vêtements trop grands, comme si brusquement Laurel se réveillait dans les habits de Hardy.
Que tout écrase comme si une ville météorite lui tombait dessus. Il n’aurait plus d’épaisseur.



Bohémien, on lui demande ses papiers plus souvent qu’un autre.
On lui demande des papiers de soi, alors qu’il n’a de papyrus que le journal, ce qui a lieu ici et maintenant.
Alors que ses papiers sont de Chine, d’Egypte, de Hollande, du Japon ou encore d’Arménie.
Ses papiers sont des lacs calmes, des fleuves qui avancent lentement mais irrémédiablement ou encore des torrents qui grondent.
Ses papiers n’indiquent jamais la source.
Ses papiers sont des aquarelles qu’il plie en cocottes pour être maître dans sa basse-cour.



Ce n’est pas le vagabond haï sous la voute des cieux qui en un rictus affamé crucifie dieu. Il a dans la paille le fusil, la mitraille.
Ce n’est pas le clochard, le clodo, le nouveau fou qui a sa place dans le paysage et à qui on prête facilement.
C’est une sorte de SDF de l’instant. Le temps de la chanson il n’a nul endroit pour se reposer. Nulle maison de thé à la lanterne accueillante.



Pour les champs il choisit un bâton.
Ni trop long, ni trop gros à sa main.
Droit et solide, en noisetier ou en murier de préférence.
Ecorcé au canif.
Epissuré en son bout.
Bref, ce qui peut soutenir et frapper.
Ce bâton est un os supplémentaire qui fait reculer le vice, un troisième pied si l’un d’eux manque de cœur. Ce bâton sera son grand bras pour rattraper son chapeau qui s’est envolé dans le pin ou sa main de fer pour casser la vitre et ne pas tuer le chien.
C’est un compagnon zélé dont il n’attend aucun retour, qui redresse sa raison.
Ce bâton lui donnera la profondeur du torrent.
Ce bâton le protégera de la vipère endormie et du chien de ferme qui veut mordre.
Ce bâton le retiendra quand la pierre à tant de mémoire roule sous son pied.



En ville il n’aura pas de bâton on a droit à la canne.
On ne marche pas pareil sur le trottoir lisse et endormi.
Besoin d’un bâton sur un trottoir roulant ?
En ville les arbres sont alignés comme à la parade, c’est un concours d’arbres le plus toiletté.
Il n’y a pas de fermes et de chiens sinon des chiens policés comme les arbres
En ville on craint d’être battu par son bâton..


DE L'ERRANT, chapitre 3
L’errant passe et manque le rouge et le noir, c’est un joueur de roulette, il mise tout sur la rencontre.
Ça peut être celle d’une montagne qui vous met à genoux et vous fait pleurer de beauté.
Celle de l’axolotl qui jamais de sa vie sera adulte et dont les membres coupés se régénèrent.
Celle de la personne qui rassemble tous les visages aimés et qu’il est juste d’attendre toute une vie.
Celle d’une maison, d’une cahute dont les larges paumes vous embrassent.
Ou, celle d’un groupe qui sera bien plus qu’une famille.
Si tant de ses souliers s’épuisent sur la route, si tant de jours il est dans la solitude du juif errant, c’est pour cette rencontre.

Mais parfois la pluie ne laisse aucun arc en ciel, il sent qu’il se ment.
Il s’arrête, se courbe, regarde ses pieds : il est tout entier un point d’interrogation. Est-il vraiment en quête ? N’est-il pas un simple mendiant du monde ? Ne se fuit-il pas avec ses pauvres bagages ?



Parfois il est enfermé dans sa solitude. Rempart qui ne craint pas le siège.
Aucun pas vers l’autre dans ce cas. Pas question d’alter ego.
Prisonnier d’un jour, il admire le paysage :
Le lac rose
Le ciel rouge cœur
La neige qui étouffe le chant
L’usine transparente.
La porte close de la maison
Et il hurle sur la colonne grise des touristes.



Parfois il voit le cyprès aux deux soleils tourbillonnant et l’arbre qui ondule comme un serpent qui danse.
Il voit au-delà du paysage.


Il sent qu’aujourd’hui à son arrivée les eaux du lac rose ne s’ouvriront pas.
Il sent que la montagne bleue franchie, il n’y aura pas un nouvel horizon.
Que ses pieds n’auront pas plus de cœur après.
Que ses mains ne seront pas plus intelligentes après avoir traversé l’usine transparente.
Au bout du compte que les colonnes grises de touristes auront noirci tout le paysage.
Qu’il n’y a aucune requête à cela.
Que sa quête bave dans sa tête et devient sénile.


DE L'ERRANT, chapitre 4
L’errant peut être las, ses souliers pleurer de fatigue, avoir la jambe si lourde qu’elle l’ancre sur un banc, une chaise ou une pierre.
L’errant devient un assis.
Il est immobile, nulle part, réduit à un point encerclé par un monde figé, pesant comme une nature morte.
Sa vie pivote.
Alors l’errant se rebelle, un point c’est important, s’exclame-t-il ! Il suspend les affaires qui trainent ; il est de repère, sans largeur ni épaisseur, mais bien niché dans la tanière du for intérieur.
A présent ses pas spirituels le mènent en arrière. Il parcourt les dix pays qui forment le Sahara et butte contre les pierres du désert de Gobi. Il compte les chemins d’hier, arpente la géométrie des endroits, triangule l’espace passé, additionne les fruits de la passion avec les rhumes, soustrait les fèves des pesos, divise le jour de ses ennuis, sort son smartphone pour lui faire prendre l’air –ça fait tant de bien- .
Il est comme entre deux vins de Moselle, trembleur comme une flamme, ivre de vitesse : qui a vu verra.


Il s’arrête sur le boulevard et se marre.
Il rit jaune, toujours, c’est son habitude.
Ce n’est pas la flaque ensoleillée qui le fait rire, ni ces avenues qui mènent à un point de vue. Ces avenues lignes de fuite.
Ce n’est pas qu’ailleurs ne soit pas ici, mais le sourire des sens interdits.


Il préfère les monts à la plaine
Il monte, il monte sur la roche glissante, sur les plateaux dallés, sur les cimes qui offrent l’horizon.
On le voit idéogramme sur la vague solide.
Au retour dans la plaine il a le sommeil lourd des pierres franchies.


Il a un point de vue,
Il répare la cabane essentielle
Celle à laquelle il faut sans cesse revenir
Pour garder les pieds sur terre.


Il a encore une petite parcelle de lui-même.
Les points cardinaux sont toujours là
Comme une source qui pique son souvenir.


Il a connu les points noirs que l’on évacue avec les deux les deux index
Les intersections
Le chaud et le froid
Les larmes de rire
Les alarmes
Jamais il n’a renoncé au point fondamental de sa course
Alpha et oméga de sa remembrance.


Il a fait avec force et faiblesse
Il a conservé la source
Avec un embonpoint certain
Immobile il cuit
Il faut encore se dresser
Pour mettre les points sur les i
Il n’a pas peur du point final.

Michel Lansade,
De l'errant
inédit, 2013 pour le Lampadaire.



Un escalier se balaie par le haut.
Proverbe