RÉSIDENCES 1
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Maria Rantin, Côte d’Azur, 18 août 2020
Je voulais écrire la suite de mon histoire sur les poux du pommier et les cétoines dorées, j’avais en tête trois phrases qui devaient me servir de point de départ, mais je suis pour le moment incapable de me livrer à des acrobaties légères sur les insectes du jardin, de m’amuser avec des pivoines autistes ou des moucherons alcooliques. Je vais demander à Joseph Pasdeloup s’il veut bien me suppléer puisqu’il paraît que nous formons un couple littéraire.


Joseph Pasdeloup, Côte d’Opale, 20 août 2020
Les poux du pommier sont aussi acrobates, les pivoines sont autistes et les moucherons alcooliques, avec cela comment tenir un jardin et produire le texte que Maria m’a demandé d’écrire à sa place, trop perturbée qu’elle est par des événements malheureux qui l’ont accablée.
Les pivoines sont autistes parce qu’elle ne veulent pas s’ouvrir, malgré la pression du doigt posé sur leur sommet. Les poux du pommier sont acrobates parce que, posés sur la tranche de la feuille, ils se détachent dans la transparence de l’air, transparence sur transparence. Les moucherons sont alcooliques, parce qu’on les trouve noyés dans les verres de vin, ou plus insidieusement dans les bouteilles.
Mais ces constations – une pivoine qui ne s’ouvre pas, un poux qui chemine, un moucheron noyé – suffisent-elles à faire d’une pivoine une autiste, d’un poux un acrobate, d’un moucheron un ivrogne ? Trop facile, Maria, trop facile, on ne fait pas de la poésie à si bon compte, on ne transforme pas les animaux et les plantes en métaphore humaines, on ne leur attribue pas des comportements humains, pas plus qu’on ne les analyse avec les outils destinés à analyser les humains. Tu devrais le savoir, Maria, toi qui avais commencé des recherches scientifiques sur les pucerons des rosiers et ceux des cerisiers pour finir par attribuer un caractère animal à un verre de rosé qui selon la théorie que tu as soutenue devant le jury doctoral, produisait sous forme d’eau glacée, le même miellat que celui des pucerons.
Tes élucubrations t’ont valu l’interdiction de présenter quelque thèse que ce soit devant un jury universitaire. Sans doute en as-tu éprouvé un certain plaisir, un réel contentement, tu pouvais enfin te consacrer à des questions aussi fondamentales que l’alcoolisme des moucherons, l’autisme des pivoines et les acrobaties des bestioles dont tu ne connais même pas le nom. Il est vrai que tu cherches aussi à décrypter leur langage, et, cela, je ne te le reprocherai pas, au contraire je te rejoins sur ce point. Tu te dis sans doute que je suis bien mal placé pour te critiquer, moi qui poursuis les dieux grecs et romains dans toutes leurs présences au monde. Tu n’as pas tout à fait tort.

Je suis content, Maria, que tu te sois adressée à moi pour écrire ton texte, même si cela ne tourne pas du tout comme tu l’avais prévu. Au lieu de m’exécuter, et de te servir de double, je reprends à mon compte ton impossibilité d’écrire sur des sujets si visiblement futiles. Je m’interroge sur le droit que nous avons, aujourd’hui, dans ce monde qui s’écroule de déployer nos acrobaties verbales, de nous amuser avec les feuilles du jardin et d’épuiser notre regard dans des choses et événements si minimes. J’ai toujours su que chercher la présence des dieux dans le moindre insecte n’était qu’une diversion, une diversion triste, sans issue.
Tu en es la preuve douloureuse, Maria, toi qui cherches à te défausser sur moi. Tu ne peux plus qu’écrire ton malheur. Je ne serai pas ton double littéraire

Joseph Pasdeloup, Côte d'Azur/Côte d'Opale
Le Lampadaire 2020






























Sur la thèse de Maria Rantin, on peut en lire l'histoire dans la Biographie lambertienne de Maria Rantin, par Hubert Lambert