DE L'INTELLIGENCE DES PLANTES
La Nescience









































L'OBSERVATION MÉDICALE CHEZ LES ÉCRIVAINS NATURALISTES
Victor Ségalen, Thèse pour le doctorat en médecine, 1902
Plante sans non


Jusqu’à présent, nous avons supposé les observateurs partant d’un diagnostic connu et consciemment choisi. Il existe un second mode d’observation objective, plus impersonnelle encore, et ainsi plus rigoureuse : C’est l’observation Ignorante, vierge d’étiquette nosologique, l’exposé du symptôme pour lui-même, et non plus en raison d’un diagnostic initial qu’il s’agirait de fortifier. Trousseau en exprima l’intérêt, même au point de vue médical pur, dans les pages savoureuses qui ouvrent le recueil de ses magistrales cliniques : « Que les nosologies soient utiles à celui qui commence l’étude de la médecine, j’y consens au même titre qu’une clef analytique est assez bonne, au même titre que le système si faux de Linné peut être fort utile à celui qui essaie l’étude de la botanique ; mais, Messieurs, si vous connaissez assez pour pouvoir reconnaître, permettez-moi cette espèce de jeu de mots, hâtez-vous d’oublier la nosologie, restez au lit du malade, cherchant sa maladie comme le naturaliste étudie la plante en elle-même dans tous ses éléments.

« À mesure que les faits se dérouleront devant vos yeux ; à mesure que vous aurez examiné et que vous serez aptes à comparer, hâtez-vous de vous débarrasser des entraves scolastiques. Vous arriverez, par cette gymnastique intellectuelle, à donner à votre esprit une puissance de déduction inconnue à ceux qui restent servilement dans le sillon creusé par leurs maîtres, moins par respect pour ceux qui ont ouvert les portes de la science que par paresse ou insuffisance ».

L’emploi véridique de ce procédé, en littérature, suppose donc un certain degré de nescience de la part de l’auteur. Ce dernier peut même, en toute rigueur, ignorer pleinement avoir fait œuvre de pathologiste, avoir été peintre de morbidités. Cette ignorance authentique et splendide n’est à vrai dire plus possible en notre époque vulgarisatrice, surtout en ces dernières années de plus particulière attention médicale. Flaubert n’ignorait point les stigmates hystériques de Salambô ; ni de Goncourt que la crise dramatique où la « Faustin », ayant quitté son lit, en chemise, « au milieu de sa chambre, dans un rayon de lune, déclamait la tirade d’Hermione», avait nom somnambulisme naturel ; ni M. Zola que Coupeau, de L’Assommoir, succombait à une classique attaque de delirium tremens.

Victor Ségalen,
L'observation médicale chez les écrivains naturalistes
Thèse pour le doctorat en médecine, 1902