GOUROUS
Betty me dit
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS
BETTY ME DIT

Betty me dit vous manquez de soutien
le cœur du pain est froid
votre cœur est bloqué
cette pierre est trop dense

Elle ne me fera pas pleurer
Je lui demande raison
Elle dit que c’est son métier
Une histoire rocambolesque

Le cœur tremble au bois pétrifié

Betty m’endort
Elle ne peut pas voir mes yeux
Je ne vois pas la pierre raclante
ni ne la sens, je dors

Vraiment tu as dormi ?

Betty Mandore
mars 2022
Betty m’écrit
car tu connais le deuil

je lis tu connais le duel
et je me dis oui
bien vu Betty
c’est une bataille à deux

à deux ensemble contre la maladie
ou moi duellement le malade
duellement la mort

le deuil m’écrit affectueusement Betty
en guise de double connivence
le sien et le mien
compassivement

le deuil
ou
le duel du deuil ?

Betty Mandore
juin 2022
Betty me dit
rien ne te restreint
ne restreins rien

Pourtant le rêve était horrible
même dans la mort
impossible
d’avoir ce réconfort

projetés dans les airs
un, deux, trois,
séparés
alors que non,
nous aurions dû mourir
nous jetant dans les airs
un deux trois réunis

Le rêve était horrible
des fusils
une maison envahie
tout tourne mal
le fils mutilé
on lui coupe le sexe
comment peut-il vivre ?

Betty me dit
ne restreins rien

la maison est plusieurs maisons
l’horizon des campagnes
inatteignable
Pourtant la promenade est belle
me dit Betty
Mais pourquoi cela finit-il si mal ?

Betty Mandore
juin 2022
Betty me dit pourquoi ce stress
La veine va éclater
regardez c’est tout rouge
Mais non vous êtes rose
c’est votre couleur


la veine ne va pas éclater

elle éclate
Betty est noire
je lui dis qu’elle est rose

Betty me dit pourquoi ce stress
Mais c’est pointu
Il n’y a pourtant pas d’épine
Que lui répondre

la veine ne va pas éclater

Il y a des épines
oui
Betty me dit non


Betty me dit calmez votre cerveau
Il tangue
enrubanné d’un nuage blanc
les épines oppressantes
fourmis entourantes


Betty me dit vous avez bu
C’est tout comme
nuage blanc entourant
pression circonférente
chaque millimètre de peau
se sent former le grand cercle
qui est peut-être ton être

loin de ton être

Betty Mandore
juin 2022
Betty me dit
avec la seule fraise de ton jardin tu vas manquer de fruits
Tiens, Betty me tutoie

Tu as perdu tes repères
Ne sais plus où tu es
Ne sais plus qui tu es

Betty me dit tu as perdu tes repères
Il m’a ignorée
Tu as fait semblant de ne pas le voir

Betty me dit tu l’as ignoré
Pourquoi disparais-tu
toujours
à chaque fois

Il m’a dit je reviens
Il a disparu

ô Betty, vouvoie moi

Betty Mandore
septembre 2022
Betty me dit c’est le fond du verre qui est bon
se donner en pâture indiscrète

sa douleur
son cœur

va crever

en silence

Betty Mandore
septembre 2022
Betty me dit écrire vous est néfaste
cultiver son vice
y croire
s’y enfermer

Betty me dit bientôt vous croirez que j’existe
que je vous parle
que je suis votre petite voix
votre petit moi
que vous me parlez
que je vous parle
que nous nous parlons

Betty me dit je n’existe pas
l’écriture est votre danger
enfermée dans vos idées
toujours les mêmes
moi comme prétexte
comme accroc

je ne suis pas votre petit moi
je n’existe pas

écrire n’est pas bon pour vous
n’est pas pour vous


Betty ne me dit plus rien
refuse de me parler

ô Betty, parle moi

Betty Mandore
septembre 2022
Betty me dit
Que me dis-tu Betty ?
Betty me dit
Betty ne me dit rien
Betty me dit trop
Me dit tout le temps
Mais ce sont tes phrases
qui te réveillent la nuit
qui te poursuivent le jour
qui sont les tiennes
et que Betty s’approprie

Betty me dit si tu les notais toutes
tu envahirais le monde
et l’ennuierais
Le monde s’en fout, je lui réponds

Et je dis à Betty
tu es une poubelle
tu ingurgites mes phrases
et les détruis

les avale et les détruis

Et je dis à Betty

Ne fais pas ça Betty

Betty me dit

Betty ne me dit plus rien
Cerveau éteint
Betty me dit éliminez votre douleur intérieure
beaucoup moindre

Betty Mandore
novembre 2022



Betty me dit
tu vois
tout est tombé

Betty Mandore
novembre 2022


Betty me dit tu roules tes mots
dans ton cerveau

Betty Mandore
novembre 2022




Betty me dit vous n’avez pas la place sur vos genoux
d’accueillir les vivants et les morts
en strates

C’était dans mon rêve
un enfant nu qui devait mourir
qui voulait se tenir allongé sur mes genoux
mais il y avait déjà quelqu’un d’autre
et l’enfant nu était comme la doublure de l’autre
en strate l’un par-dessus l’autre
et l’enfant nu glissait
et je disais mes genoux sont trop petits
un peu en riant
parce qu’on le sait
mes genoux ne sont pas très confortables

mais pas vraiment en riant

Betty Mandore
janvier 2023


Betty me dit ta douleur vagabonde
L’homme au masque rose va la raviver
Va la préciser
Va la localiser

Betty Mandore
janvier 2023


Betty me dit votre coeur va lâcher
sentez-vous la douleur
là au centre

elle pique à trois endroits
trois apitoiements
trois peurs

il vous faut marcher
pourquoi les peurs à l’avance
anticipatrices

la douleur
elle vagabonde

Betty me dit votre douleur vagabonde
et l’une se rajoute à l’autre
qui se rajoute à l’autre

elles s’entassent
ne se substituent pas l’une à l’autre
et à l’autre

s’observent-elles
se concurrencent-elles
se jalousent-elles

elles sont vigilantes
perfides attentives

passent à l’attaque
glissent et se contournent
s’agglutinent et se séparent
et s’agglutinent et se séparent

c’est l’amibe multiplicatrice
qui s’auto-reproduit et se duplique
sui generis prétend Betty à l’infini

Non Betty pas sui generis
le génie malin est ailleurs
elles ne se nourrissent pas d’elles-mêmes

il faut les entretenir
comme on nourrit un feu
elles ne veulent pas mourir

elles réclament l’aliment
Betty me dit le minotaure ?
Betty Mandore
mars 2023
Betty me dit ne te laisse pas disparaître
Tu as disparu

Quand tu vis avec quelqu’un de malade, de vraiment très malade, et que tu t’en occupes et que tu es présente, vraiment très présente, et que tu ouvres la porte, on vient de sonner, à l’infirmier, l’infirmière, l’assistante sociale, le docteur, et que cette personne te salue par un comment allez-vous? Tu réponds, surprise, mais ce n’est pas moi le malade, je ne suis que sa soeur, sa femme, sa fille, et qu’on te répond mais c’est bien à vous que je pose la question, comment allez-vous? Les aidants aussi ont besoin d’aide, de la sophrologie par exemple, on a des organismes pour ça, vous pouvez en profiter, vous y avez droit. Tu restes coite, ah bon je dois m’occuper de moi? Ne vous occupez pas de moi. Et tu disparais.

Betty me dit
Va chez la sophrologue
le ou la
Va au cabinet d’embellissement des âmes
le ou la
et du visage
Le ou la
Va à l’effacement des rides
Va au lissage de la peau
Et de l’âme
Le ou la
J’ai revu l’homme au masque rose
Il n’avait plus de masque
Il a cherché à me nuire
À me nuire-guérir
Vraiment il a essayé
Et fais-ceci
Et fais-cela
Le ou la
Et déçus tous les deux nous n’avons rien trouvé
Mais vous êtes sûre Betty?
Il fallait piquer ici et pas là
Il a piqué au bon endroit me dit Betty
Il faudra attendre un peu avant de mourir.


Il y a deux films.
En noir et blanc, précise Betty.


Le premier.
Un orphelinat? Une école? Des enfants, ils ont l’air gais et heureux. La directrice est une jeune femme charmante aimée de tous. Certains des enfants l’appellent Maman, ce sont ses enfants? Une autre femme, sèche, peu attirante, la soeur de la directrice. Personne ne l’appelle Maman. Pourtant on comprend qu’une des petites filles, à laquelle elle semble particulièrement attentive est sa fille, fruit d’une liaison coupable. L’école a sans doute été créée pour cacher le fruit de la femme fautive dans la foule des autres enfants. Elle aimerait que cette petite fille l’aime, mais la petite fille ne l’aime pas, elle préfère la jolie femme. Elle l’appelle Maman. C’est normal. Le temps passe, la petite fille est devenue une jeune fille, la femme sèche a vieilli, elle est malade, dans son fauteuil, la jeune fille vient lui rendre une visite - de courtoisie - et par mégarde l’appelle Maman. « oh pardon » dit-elle, confuse, essayant de rattraper son erreur. La vieille femme sèche et mal aimée et malade est heureuse, sa fille l’a appelée Maman, et tant pis si c’est par erreur. Elle est heureuse, son coeur est empli de joie, elle peut mourir.


Et le second, demande Betty.
Attends Betty
Il y a une scène en bas d’un grand escalier
En bas de l’escalier
La petite fille et la femme sèche
La petite fille rejette la femme sèche
A-t-elle peur demande Betty?
Elle se réfugie dans les bras de celle qu’elle appelle Maman


Nourrir le chien désespoir
le ou la
chienne
Alimenter le monstre
La hyène

La nuit les bruits du ventre
résonnent
Ne nuisent pas à l’expansion de la pensée
S’amplifient
Prennent vie
Le mouvement infime du doigt sur le drap
De la respiration
Les bruits deviennent autres
Appartiennent à d’autres
Mais qui?

Ne pense pas
Ne nuis pas à l’expansion de la pensée
Des autres
Reste humble
Plein de cette humilité
Dont Betty prétend que tu es dénuée
Ô Betty, réfléchis, regarde
c’est l’allégorie
l’halali
je ne réfléchis que la nuit
Répond Betty humblement


Le second, Betty, est plus connu
Betty me dit, j’écoute mais va plus vite au but

Deux soeurs encore. Une famille populaire. Mère de famille blonde, ronde, épuisée et abîmée par les travaux ménagers, lessives et enfants. Le mari, tee-shirt blanc, musclé, beau gars, on ne peut plus beau gars. Arrive la soeur, grande, mince élégante, célibataire, névrosée. Elle succombe à l’indifférence sensuelle et brutale du mari. La brutalité du désir. Dans les synopsis du film on ne parle que de la relation houleuse du mari et de la soeur grande, mince, célibataire, si élégante. La soeur blonde, qui ne prend pas soin d’elle, dénuée de toute séduction, débordée par la vie de famille a disparu. Elle ne sert à rien.



Il y a longtemps Betty m’a dit,
tu aurais dû être psychanalyste
tu sais écouter
Je ne sais qu’écouter
Je lui ai dit non Betty non
Trop empathique
J’aurais attrapé toutes les névroses du monde
La ou les miennes me suffisent

Mais tu écoutes et ne veut pas intervenir
Mais tu ne veux plus écouter
Tu souhaites le grand silence
Mais si tu ne veux ni écouter ni parler
Et que tu ne veux pas le grand silence
Comment tu vas faire
Comment tu fais me demande Betty

Je réponds
Rien

C’est parce qu’il te faut trois oreilles, dit Betty
Et une quatrième pour toi n’est-ce pas
L’oreille interne
intérieure

Le ciel était rouge et il pleuvait du sang
Ta gueule a dit Betty
Pour qui te prends-tu pour écrire en rouge?
Arrête ma ta grandiloquence
Et reviens au envisagérable
désagrégeable
Désagrège me dit Betty
Et tais-toi
Une bonne fois pour toute
Désagrège
Et retrouve un peu de ton petit toi
Mais s’il faut mettre des e pour faire passer des a
Jamais on ne s’en sortira
pas
Betty Mandore
mars 2024